"L'air nocturne est cet obscur Protée habile à susciter par simple jeu de riches condensations de velours, des bouffées de jasmin odorant, des cascades d'ozone, puis de brusques déserts sans souffle, ces grands bulbes noirs qui prolifèrent à l'infini, monstrueuses grappes de ténèbres gonflées de jus ombreux. Je me faufile à travers ces étroites corniches, je courbe le chef sous ces arcades, ces cryptes et ces voûtes basses et voilà que tout à coup le plafond se rompt, s'arrête dans un soupir étoilé, entrebâille l'abîme de son ciel immense pour me ramener derechef dans le dédale resserré de ses corniches et de ses couloirs. Au coeur de ces retraites de silence ombreux, de ces baies sans souffle, on peut distinguer encore des bribes de conversations abandonnées là par des noctambules, des lambeaux d'inscription sur les affiches, des bouffées de rires égarées dans un long sillage de murmure que la bise n'a pas dissipés.
[...]
Enfin, à l'orée de la ville, la nuit renonce à ses jeux, enlève son masque et nous révèle sa face millénaire empreinte de gravité. Renonçant à nous enfermer dans le fallacieux lacis de ses hallucinations, elle nous ouvre les étoiles de son éternité. Le firmament monte à l'infini, les constellations gardent leurs rituelles positions, elles flamboient dans toute leur majesté et tracent au ciel des figures de magie comme si elles voulaient par leur épouvantable silence annoncer, proclamer, proclamer quelque chose de définitif. De la scintillation de ces univers lointains descend un coassement de grenouilles, le tumulte argenté des astres. Le ciel de juillet répand le pavot inouï des météores qui s'infiltre doucement dans le cosmos."
Bruno Schulz, La nuit de juillet.