samedi 24 juillet 2010

Interrompre la magie

"Créer de la magie est si facile. Un grand nombre de compositeurs le font. Ils n'ont qu'à aller au supermarché de la magie, à prendre un tam-tam, un glissando, un cluster, ou certaines composantes électroniques... C'est une sorte d'agencement de situations magiques. Et les gens disent que c'est intéressant. Mais "intéressant" égale "ennuyeux" ! Je ne veux pas écouter des choses intéressantes : je veux être touché. Les sons doivent penser. Les meilleurs pièces dérangent. Il y avait les grandes symphonies de Mahler, qui duraient une heure ou plus. Puis Schoenberg est venu avec sa Symphonie de chambre, condensée en un seul mouvement. Les gens ont été complètement horrifiés. Ce fut unanime. Ou bien on commence à écouter attentivement quelque chose et on se laisse fasciner par ce que l'esprit a fait de cette chose, ou... Voilà le dilemme : la magie ou l'esprit ? L'esprit doit dominer la magie. Et dominer la magie signifie interrompre la magie. Imaginons une situation complètement absurde : vous avez rassemblé tout le monde dans un stade pour un match de football. Quand la Coupe du Monde aura lieu en Allemagne, il y aura une magie incroyable. J'aimerais que pour une fois les joueurs jouent avec deux ballons. Oh, ils seraient tellement furieux ! Ou bien qu'ils ne cessent de frapper le ballon en direction des spectateurs au lieu de l'envoyer sur le terrain : briser les règles. Ce serait extraordinaire, ça me plairait. Et les gens commenceraient à penser : "Nous sommes complètement dingues, voulez-vous bien nous dire pourquoi il y a des millions de personnes qui regardent ça ?"."
Helmut Lachenmann, De la musique comme situation.
Related Posts with Thumbnails