dimanche 1 août 2010

S'exprimer

"Face au réel, nous vivons toujours dans l'espoir que l'homme soit capable de faire ce qui convient, et cela suppose bien sûr qu'il soit capable et désireux de se connaître lui-même et sa propre réalité. Nous croyons donc toujours en un "potentiel humain". Nous nommons beauté l'expérience sensible qui fait de cette croyance une certitude. L'espoir dans ce "potentiel humain" au sein d'un processus de communication, vécu collectivement, déclenche ce sentiment de bonheur que nous appelons la beauté.
Pour ce qui est de l'art, il ne nous transmet pas cet espoir à travers une expérience irrationnelle, orientée vers la métaphysique, mais à travers une expérience de l'homme parfaitement inscrite dans l'ici-bas, qui réussit à s'exprimer [...].
S'exprimer veut dire : entrer en relation avec son environnement, affronter à partir de ce qu'on est et de ce qu'on voudrait être les questions de société et les catégories de la communication déjà existantes, en se confrontant alors aux valeurs qu'elles renferment. Cela signifie aussi représenter et faire apparaître la réalité à travers cette confrontation avec les catégories de transmission, et de surcroît, représenter et devenir conscient de ce qu'on est soi-même, comme partie intégrante et produit même de cette réalité.
S'exprimer veut dire enfin : opposer aux catégories de transmission dont on hérite, en tant qu'objectivation des normes en vigueur, une résistance provoquée par les contradictions et les asservissements qu'elles contiennent. C'est là une résistance qui rappelle à l'homme sa capacité et sa responsabilité pour se déterminer soi-même et prendre conscience de son aliénation. Voilà pourquoi s'exprimer revient à nous faire prendre conscience du fait que les contradictions sociales sont susceptibles d'être analysées, donc à réaffirmer l'exigence de liberté chez l'homme, et, partant, notre "potentiel humain". Une exigence de beauté qui ignore ces conséquences n'est rien qu'une fuite, une résignation, une manière de s'abuser sur soi-même."


"Ma définition de la beauté comme "refus de l'habitude" peut apparaître comme d'autant plus provocante qu'elle ne supprime guère l'idée de beauté d'une manière masochiste, morale ou calviniste; elle l'assume au contraire avec toutes ses vertus de pureté, de transparence, d'intensité, de richesse, d'humanité."


Helmut Lachenmann, Ecrits et entretiens.
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