dimanche 22 juin 2008

Didier-Georges Gabily : Physiologie d'un accouplement, Couvre-feux

On peut dire que sur les trois romans du dramaturge Didier-Georges Gabily (1955-1996), la conspiration du silence a réussi son coup. Nous ne parlerons pas ici du dernier, L'Au-delà, roman admirable et nécessaire, qu'on peut sans aucun doute placer sur le même plan que certains des plus beaux romans de Claude Simon, La Route des Flandres ou Histoire.
Bref, voilà longtemps que nous nous étions promis de dénicher sur le Net (car ils ne sont plus disponibles chez l'éditeur, Actes Sud), ses deux premiers romans, Physiologie d'un accouplement et le très bref et très dense Couvre-feux. Evidemment, ils soutiennent mal la comparaison avec L'Au-delà, mais ils offrent cet intérêt des premiers textes d'un écrivain, où l'indiscrétion des procédés et des techniques narratives permet de mieux cerner le fonctionnement des textes ultérieurs.
On a donc, déjà, la marginalisation, la démence, l'omniprésence d'une sexualité misérable et crue. Dans Physiologie d'un accouplement, c'est une femme violée par son père qui assassine l'enfant de l'inceste. Dans Couvre-feux, un père qui revient dans sa famille, avec sa fille. Et l'on pense déjà à Faulkner, au Bruit et la fureur, par ces monologues intérieurs qui laissent à peine entrevoir des bribes de récit, mais terrifiants, sidérants, comme des visions de Goya. On ne voit rien, placés le plus souvent au coeur du tumulte, et, bousculés de toutes parts par les ellipses permanentes, la déconstruction chronologique, et une langue qui se fiche royalement d'être compréhensible, on se contorsionne pour voir : "Quand elle se retourne, elle plisse les yeux pour ne pas voir le désordre et la saleté de la chambre maternelle. Elle essaie d'atteindre la porte comme ça, dans l'aveuglement irisé de ses paupières mi-closes."
L'écriture de Gabily - pardonnez la platitude - est virile. Les phrases sont volontiers inachevées, mais abruptement, par des points et non des points de suspension ("Culottes courtes qui te grattaient, gilet de laine qui te."). Et s'entortillent parfois dans de lancinants retours sur elles-mêmes : "Bien sûr, elle ne l'avait jamais fait parce qu'elle savait tes craintes de. Fillasse. T'en es qu'une. Et les respectait. Elle, bien sûr, connaissait cette différence avec ceux de ton âge qui jouaient à la guerre dans les vergers avoisinant les berges. Une, t'en es qu'une. Et la respectait. Ne respectait rien. Ne savait rien. T'aimait." Un style qui fait penser à un homme taiseux, sur le calme duquel plane comme la permanente imminence d'une colère, la menace d'une impétuosité. Si l'on reprend la distinction deleuzienne entre les écrivains qui font bégayer leurs personnages et ceux qui écrivent "bégaya-t-il", Gabily se situe résolument dans la première catégorie...
Une manière donc d'entrer dans l'univers d'un écrivain qui a réservé le meilleur de sa plume à la scène (Gibiers du temps, Violences), mais dont l'oeuvre narrative mériterait largement d'être mieux connue.
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