Raymond Radiguet prétendait que c'est par la lecture des mauvais livres qu'on apprend à écrire. C'est peut-être, même s'il y a quelque ingratitude à le dire, la raison qui nous a poussé à lire jusqu'au bout, en prenant des notes, le dernier roman de Dominique Muller, Lire la notice et vivre ensuite. Entendons-nous : on ne saurait dire que ce livre est mal écrit. Le style est alerte, enlevé, classiquement économe en adverbes, en épithètes et en subordonnées. Ce qui nous a déplu d'emblée c'est plutôt cette écriture uniformément joyeuse, pimpante et débordante d'idées, de métaphores, de bons mots, de zeugmes, d'opinions tranchantes et paradoxales, de traits d'esprit. Une écriture d'éditorialiste ("un regard à accélérer la fonte des glaces", "une éducation aussi frugale qu'un repas sans fromage ni dessert", "un homme au passé plus lourd qu'un sac à dos de scout"...). Peut-être l'usage de la première personne du singulier aggrave-t-il la situation, en donnant l'impression d'un interlocuteur qui en fait trop, prompt à dégainer son avis bien tranché sur : les sciences physiques, les boules à neige, la bonde fermée des lavabos (!), le mot "résilience", etc. Un style qui s'agite, gesticule, dont la pétulance a tôt fait de lasser et de sonner faux. Et s'excusant même, au besoin, par des clins d'oeil ironiques : "et tant pis si je file la métaphore, cette béquille de poète du dimanche".
De loin en loin, une poignée de motifs récurrents tisse une lâche cohérence à l'ensemble : la chaleur à rendre fou, la nymphe Pytis, Mallarmé, l'adverbe "bref", les guêpes, les noms savants de fleurs. Dominique Muller (la voix des "Papous dans la tête", l'émission culte de France-culture) frôle la lisière de la littérature sans jamais la franchir : "Clair comme de l'eau de roche, d'une netteté trop transparente pour être perçue par la foule des vibrions tragiques épris de tumulte, de goualantes, d'indignations spectaculaires."
Le pitch : Sabine Lachenay, auteur de roman sentimentaux "mâtinés de faits de société", vivant à Venise (comme l'auteur), nous narre son histoire avec trois hommes, surnommés, chemin faisant, Roch, Rocco et Rocky. Et nous raconte l'histoire d'un drame qui arrive sans crier gare, sans raison. Sans doute, le plus grand regret est ce titre excellent et usurpé : "Il se trouve que vivre, avec ce que ça implique d'incohérence et d'improvisation, ça se surmonte par la pratique, à la petite semaine, au petit bonheur, non en se rapportant aux directives d'un vaste plan de nettoyage d'ensemble". Seulement voilà : cette brillante idée de roman, hélas, ne sera pas exploitée. On chercherait vainement, à part dans ce bref extrait, l'argument annoncé par le titre.