
Mais ces descriptions sont travaillées par une tension permanente : d'un côté un souci méticuleux d'exactitude et d'objectivité qui fait presque songer à du Robbe-Grillet ("Au-dessous, ouvert sur son pivot, à la verticale de l'angle et dans le même axe, un éventail de jais [...] occupe un arc de cercle d'une parfaite netteté. [...] A l'écart, un second éventail, moindre de moitié et plus évasé [...]") et de l'autre un goût immodéré de la métaphore, paysagère, le plus souvent. Il n'y a là rien d'étonnant pour un auteur qui fait de la métonymie un des principes majeurs de sa lecture du monde : la partie (le caillou) contient nécessairement le tout (la montagne, la vallée, le lac). Et c'est bien là ce qui donne lieu à ces paysages absurdes, impossibles, hostiles comme au début ou à la fin des temps : "au creux de la nasse, se rassemblent des lichens noirs, des dépôts bitumineux, une végétation d'épines et de brindilles qui déteignent, se désagrègent, se diluent en ténèbres délavées". Peut-on encore parler de métaphore filée ? le minéral est si fréquemment décrit avec les mots du paysage qu'on ne sait plus bien quel objet l'auteur cherche à nous dépeindre.
Quant aux moments plus spéculatifs, ils prolongent ces instants de poésie pure sans s'en distinguer vraiment ; c'est là l'autre tension sous-jacente à l'écriture de Caillois. Sa rhétorique si précise, si construite, semble ici plus égarée que convaincante. Cela sonne comme un exercice des limites de la pensée (nous pensons au George Steiner des Dix raisons (possibles) à la tristesse de la pensée, et à son "Est-il réellement possible de penser sans détour ?"). Et certaines pages semblent distiller une véritable sagesse de l'impuissance : "Déchiffrer les signes du granit graphique n'aurait strictement aucun sens, pas plus que n'en aurait la lecture des écorces des platanes, celles des formes des nuages ou de l'ascendant des planètes, pas plus que n'en a celle des songes qui sont eux aussi écorces et nuages, mais de l'âme."