mercredi 9 juillet 2008

François Augieras : L'apprenti sorcier

De l'oeuvre de François Augiéras (1925-1971), on retient généralement Une adolescence au temps du Maréchal, Le Voyage au Mont Athos et le superbe Le Vieillard et l'enfant, plus rarement ce récit d'une brève centaine de page paru anonymement en 1962, avec pour seule mention "par l'auteur du Vieillard et l'enfant". C'est qu'il existe en effet entre ces deux textes plus d'une affinité. Récit d'apprentissage, comme le laisse présumer son titre, mais singulièrement poétique, stylisé, il raconte l'expérience d'un adolescent placé chez un étrange prêtre de trente-cinq ans dont les pratiques de la macération confinent au chamanisme. Il est aussi question d'apprentissage sexuel, avec le prêtre puis avec un jeune garçon dont la beauté se confond avec celle des paysages périgourdins dans lesquels se situe l'action.

Le style est beau, exact, d'un classicisme dépouillé : les phrases sont courtes, le vocabulaire simple, monosyllabique ("il but à longs traits doux et graves"). Presque aucune métaphore, ou alors les moins sophistiquées possible : "La terre tournait lentement dans un ciel pur strié de nuages roses pointus comme des avants de barque". Les imparfaits du subjonctif, les inversions ("trop loin des hommes pour les jamais rejoindre"), l'usage de certains mots dans une acception rare ou désuette font de la langue d'Augiéras une langue atemporelle, inactuelle. La précision ne se fait jamais aux détriments de la pudeur, même quand sont évoquées les situations les plus crues.

Si sommaires sont les personnages, si équivoque chaque scène, si ténue l'intrigue qu'on a du mal à voir dans les figures de l'adolescent, du prêtre et de l'enfant autre chose que la projection trinitaire d'une même personne : "J'en serais arrivé à croire qu'il n'y a d'amour que dans la mesure exacte où la part d'ignorance qu'on a de soi pousse à se trouver dans les autres, à croire qu'il n'y a d'amour que dans l'erreur délicieuse". Seul dans la maison du prêtre, l'adolescent découvre, comme la Judith du Château de Barbe-bleue de Bela Bartok, porte après porte, ici une pièce jonchée d'épis de maïs dessinant des figures géométriques, ici une figurine devant laquelle on a brûlé de l'encens. Car c'est bien de panthéisme (le panthéisme de "toutes les confusions primordiales") qu'il s'agit : la Nuit, la Vézère, le feu, les pierres sont les protagonistes principaux du récit. Mais ce qui frappe, comme toujours chez Augiéras, c'est l'état de suspension, temporelle et morale, dans lequel nous maintient une écriture qui se concentre sur les sensations mais n'ébauche jamais la moindre explication psychologique : "Riant des mes craintes, comme un dieu qui rêve, j'en avais l'invincible gaieté."
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