Voici un moment déjà que je souhaitais partager ce très beau texte sur les biliothèques signé Hervé Guibert. Il s'agit d'un extrait d'une brochure publiée à l'occasion du Xème anniversaire du Centre Georges Pompidou, en 1987, et jamais rééditée depuis :
« Dans la gare italienne, anonymes parmi les voyageurs, s’entrecroisent ceux qui n’ont d’autres destinations que l’épuisement ou la faim, le désœuvrement, la concupiscence de petits larcins ou d’assouvissements biscornus, le recueillement aussi : dans son architecture, de la salle des pas-perdus aux salles d’attente, de la chapelle aux alcôves d’aisance, elle ménage des trajectoires de répit et de bonheur clandestin. Dans un temple japonais, celui dit de la mousse, à Kyôto, les moines sont les gardiens des vœux que leur confient les visiteurs du monde entier : leur forteresse semble n’avoir été construite que pour préserver ces liasses de parchemin compressées sous l’autel, comme un coffre-fort des secrets de l’univers, une banque de souhaits : l’année durant, sans commettre l’indiscrétion de les déchiffrer, les moines du temple de la mousse ne font que se concentrer pour qu’ils s’accomplissent.
Il y a quelque chose de la gare italienne, et de ce temple japonais, dans le Centre Georges Pompidou. Les messages sans nombre recelés par la Bibliothèque publique d’information, que viennent consulter par milliers des visiteurs d’occasion ou d’habitude, ressemblent à ces vœux gérés par les moines japonais. Poètes, journalistes, hommes de science, écrivains ont abandonné dans ces millions de volumes vérités et mensonges tapis dans les nervures du papier pour mieux se prêter à la réanimation. Cette bibliothèque est un lieu d’égalité, d’un rêve commun : celui de la découverte de soi, et de ses aventures. Les arrogances sont débusquées aux portillons électroniques. Les analphabètes peuvent bien fraterniser avec les savants : ils ne seront pas démasqués. Les uns et les autres pourront même lire les yeux fermés. Un homme a la tête penchée sur un album illustré où est écrit en gros : LES ASTEROIDES ; personne ne se moquera de lui, son rêve le sacre étudiant des astres. »
Hervé Guibert, L’œuvre sans fin.