mardi 2 septembre 2008

Jean-Benoît Puech : La Bibliothèque d'un amateur

Voilà près de trente ans que l’œuvre narrative de Jean-Benoît Puech s'échavaude autour de la figure de Benjamin Jordane, un écrivain imaginaire dont Puech nous donne à lire successivement la biographie, les récits, les notes de lecture, etc. La Bibliothèque d’un amateur (1979) se présente ainsi comme une suite de critiques de romans imaginaires appartenant à la bibliothèque idéale du même personnage.
La démarche n’est pas sans rappeler le travail d’Hubert Renard, cet artiste dont l’œuvre n’existe que par les photographies d'expositions (voir illustrations), les cartons d’invitation aux vernissages, les articles, tous parsemés d’imperceptibles indices qui permettent de comprendre que, en réalité, les expositions décrites n’ont jamais eu lieu, que les œuvres photographiées n’existent pas. Les photographies sont des maquettes, et les articles des textes de l’artiste lui-même. On peut aussi songer à Anne et Patrick Poirier et à leurs relevés de fouilles archéologiques de sites imaginaires.
Cérébrale et conceptuelle, l’œuvre de Puech l’est, assurément. Mais après tout, nous passons notre vie à lire des critiques de livres que nous n’avons pas lus, et même souvent à parler de livres que nous n’avons pas lus. C’est le principe de toute recommandation : comme dans la théorie du désir triangulaire de René Girard, on désire aimer ce que la médiation d’un tiers désigne à notre désir de lecture. Pourquoi s’exposer à une possible déception ? Comme l’écrit le narrateur : « Il serait maladroit de dévoiler ici un dénouement que nos lecteurs peuvent cependant imaginer »…Le dispositif du livre de Puech donne ainsi à voir, non sans humour, tout l’échafaudage fantasmatique que nous bâtissons autour des livres que nous aimons. S’amusant au passage à inventer de merveilleux titres de romans (« Le Menuet des simples » de Martin Larsson, « Le Second Jubilé de la reine Victoria » de Stephen Foster) ou des noms de revues littéraires plus vrais que nature (« P.A.O.L.A. », « Les Cahiers d’Euterpe »), Puech jette un regard ironique sur la critique, et parodie volontiers les tics de langage des universitaires, désamorçant au passage ce qu’on serait tenté de lui reprocher :
« Ceux qui prétendent que Logres, brillant intellectuel dépourvu de sensibilité à l’écriture et dont les idées s’étiolent dans leur forme laborieuse et fade, ferait mieux de s’en tenir aux travaux universitaires, trouvent ici une confirmation de leur inqualifiable jugement. »
Dans le sillage de Maurice Blanchot, l’œuvre de Puech est fondée sur la conviction que la littérature n’existe que dans son impossibilité : la mise en abyme se poursuit donc naturellement dans les récits eux-mêmes, qui ne sont que secrets, anonymat, voeux de silence, disparitions.
Le style est délibérément neutre, châtié et aseptisé. Les longs résumés, parfois indigestes, confèrent au livre une esthétique très particulière, comme du Handke en plus fruste. Et l’on finit par trouver une indécidable grâce à ce texte tissé d’allusions et de citations, "comme des révélateurs, des condensateurs de ses propres obsessions trop abstraites. […] On pense à ces bandelettes dont s’entoure l’homme invisible afin que son corps apparaisse, même caché et comme momifié sous ces effets impersonnels."
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