lundi 6 octobre 2008

Pascal Quignard : Boutès

"Tout sentiment esthétique dans l’âme des bêtes, comme dans celle des hommes, est simplement une rechute."
Plus de dix ans après La Haine de la musique, Pascal Quignard nous livre une nouvelle (la dernière, prétend-il) méditation sur la musique. Autour de la figure de Boutès, l’Argonaute dissident (des-sedeo, se dés-asseoir, nous dit l’auteur) qui céda à l’attrait du chant des Sirènes et se jeta à l’eau, l’auteur déploie un réseau de citations, d’images (l’homme de la grotte de Lascaux, le Plongeur de Paestum) dans un essai résolument poétique qui cite peu les musiciens – seuls sont nommés Messiaen, Scelsi et Schubert, ce dernier promu penseur de "la nudité, du froid et de l’absence de tout secours". La légende raconte que Orphée monte sur le pont du navire et se met à jouer de la lyre pour couvrir le son du chant des Sirènes : comme si la musique se définissait par son rôle conjuratoire, naissait de l’angoisse d’une mort par le retour à l'état amniotique.
Pascal Quignard, c’est dans le même souffle la délicatesse et la crudité, un univers qui balance toujours entre rudesse et poésie chuintée (rappelant ainsi l’œuvre des antiques, la raideur des fresques romaines qui illustraient le Sexe et l’effroi). En dix-sept chapitres de longueur variable, de deux lignes à quelques pages, il scrute les étymologies, mêle contes shintô, citations de Pline et de Lycophron l'Obscur, et fragment autobiographique (l’abandon de la thèse avec Emmanuel Levinas), pour refermer son livre sur la modeste image d’une nature morte hollandaise. Le style enchante par la grâce d’un article indéfini ("vague chaude, nourrissante, apaisante, qui ne retombait jamais. Le corps la buvait comme s’il était un sable."), la simplicité d’une épithète ("couverte des fruits si noirs du lierre, ronde, lourde") et il nous semble entendre Quignard lui-même nous faire une confidence, de sa douce voix un peu stertoreuse. En chemin, l’amateur d’aphorismes glanera quelques pierres pour sa collection :
"La musique ne re-présente rien : elle re-sent. Elle est comme les prénoms quand les prénoms ne font encore que retentir de l’affect."










Marguerite au rouet de Schubert, transcrit par Liszt, sous les doigts du grand Egon Petri.
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