"D'autres fois, surgis de marges confuses, des croisillons touffus érigent dans l'espace un vaste pylône ajouré. Longerons, poutrelles, traverses étagent une armature de plus en plus étroite et aérée, comme si l'altitude l'exemptait à mesure d'être dense [...]. Le regard se trouve précipité au fond de l'azur, avide d'y accrocher un météore éblouissant, altier, intense et de l'entraîner dans la nasse fatale où son ardeur s'éteindra, bientôt presque invisible, diluée dans le jeu des clartés spectrales et angulaires, dans les pâles mirages, dans la vacance insipide.
Cependant, sur des pentes désoles, un fouillis d'épines reste sec sous des averses sauvages et continues. Des praticables pourpres ou bistre glissent les uns sur les autres et démasquent des lointains identiques à eux-mêmes, qui s'estompent jusqu'à s'effacer comme reflets infinis dans des miroirs affrontés. Des plans décolorés par l'outrage, striés d'obliques, coupés de fuseaux, de bissectrices, criblés de foudre et de sagaies, sans jamais rien qui rappelle être ou chose. Des espaces raréfiés, des ouvertures simples sur des pans de ciel sans oiseaux ni nuages. Une absence atroce évoque l'extase, la stupeur, fait reculer."
Roger Caillois, Pierres réfléchies.