"Détente au milieu d’un inexorable trajet, un tournant seul donne sens au voyage et le transforme en joie. Rien d’étonnant que les trains poussent dans les virages un sifflement et font jaillir au ciel un fier panache de vapeur – alors que sur le hautain récif de New-York, ville des villes, pèse un affront secret : le fait qu’il ne surplombe qu’un plat échiquier sans tournants. Luxe nécessaire, le tournant est le seul à alléger la prose de notre séjour au monde et à changer la traversée de celui-ci en danse. Même les joies de l’amour consistent dans le détour, sans quoi il ne serait qu’un stupide va-et-vient de piston – boucles et laisses de la séduction, flottement de jupe, lent enlèvement du gant ou du chapeau, douces déviations par la courbe de l’épaule ou par le creux discret dans le pli du coude. Le tournant permet de s’attarder avec les choses de passage, de maintenir plus longtemps dans les yeux la lueur d’un éclat de verre et la pâleur d’un buisson qui, au bord de la route, glissent contre l’horizon."
Petr Kral, Notions de base.