lundi 19 janvier 2009

Tristan Garcia : La meilleure part des hommes

Soient les trois dernières décennies de l’histoire française vues à travers l’histoire de la communauté homosexuelle et le parcours de trois personnalités, ressemblant de manière troublante à Alain Finkielkraut, Guillaume Dustan et Didier Lestrade. Evidemment, difficile de ne pas intéresser le lecteur avec trois figures médiatiques, dont deux qui comptent parmi les plus irritantes de la fin du siècle (on décidera desquels nous voulons parler). Le roman se laisse donc lire sans difficulté, même si les moments de grâce et d’humour sont passablement rares. On sourira donc, aux descriptions d’un Dustan vu en ado attardé évoquant sans cesse Spinoza et terminant toutes ses phrases par : "C’est politique.", ou à la petite charge sur l’autofiction : "Une quinzaine d’années plus tard, c’était devenu un style, le style : tant que je parle, j’ai raison, je peux mentir ou j’ai rien à dire, j’ai raison – j’ai la parole, et ça s’appelle un livre".
Gracia soigne aussi les détails de certaines scènes, comme lors de la remise des cendres de Will, après la crémation :
"L’employé a poliment précisé : "il devait avoir des amalgames dentaires, ça s’est évacué par voie gazeuse."
Et bêtement, j’ai regardé le ciel, la fumée qui sortait de la cheminée et les nuages dans le ciel blanc.
L’employé m’a dit : « Non, ça c’est pas lui."

Mais l’oralité voulue du style peine à dissimuler une écriture bâclée et sans relief : sorte de Benacquista poussif, Tristan Garcia multiplie points de suspensions, mots anglais, approximations ("on est supermal", "Ils sortaient, ils avaient les connexions"). Il utilise "moyen" et "limite" comme adverbe ("J’apprécie moyen que tu utilises mon ordinateur", parlait-on déjà comme ça dans les années 90 ?), et dans les dialogues, tous les personnages s’expriment d’une manière interchangeable.
Le mode narratif lui-même a quelque chose de très artificiel : la narratrice, providentiellement intime des trois protagonistes, est providentiellement présente lors de chacun des événements importants dans la vie des trois. L’humour gagnerait à être plus présent. Même les parodies de titres de Finkielkraut (et pourtant, il y aurait eu matière à rire) font peine à lire : La fidélité d’une vie, essai sur la promesse et le temps présent (alias La Sagesse de l’amour), Echec de l’intelligence, intelligence de l’échec (alias La Défaite de la pensée)… Et les quelques sentences qu’on nous assène sporadiquement (et de façon particulièrement condensée dans le dernier chapitre) n’arrangent rien : "se brouiller était une forme d’amour pour lui", "C’était quelqu’un de pur. Au contact du monde, cela donne une personne extrêmement sale." La fin, explicitation lourdement didactique du titre du roman, est franchement ratée.
Tant et si bien que c'est de son propre roman que Garcia semble parler, lorsqu'il décrit le premier livre de Willie-Dustan :
"C’est le genre de livre, vous n’avez aucune idée de ce qui peut les rattacher au monde qui les entoure, à la réalité – et pourtant ils existent, dans le monde. Certainement pas bon, même pas mauvais."

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