"D’où la possibilité d’un passé définitif : non pas l’attente de ce qui ne peut ou ne doit plus advenir (car, par définition, je puis tout et toujours attendre), mais le veuvage définitif de tout ailleurs, le renoncement à l’attente comme telle ("n’attendre plus rien de la vie"). Le passé, en réduction érotique, ne rassemble pas les anciens présents dans la mémoire ; il sanctionne la clôture de l’attente. Il ne thésaurise pas le déjà donné, mais fait le deuil de toute possibilité d’une nouvelle advenue, de la possibilité d’attendre de nouveau. Bref, il ne conserve pas les présents révolus, mais referme l’avenir. Le passé devient le révolu, non plus la gestion de l’absence (qui appartient proprement à l’attente et à l’avenir), mais sa censure – l’enregistrement que l’attente est désormais révolue. En réduction érotique, le passé ne conserve pas le présent sous la forme du passé, comme un patrimoine ; il sanctionne l’absence même de l’absence véritable – l’absence de l’attente, l’absence érotique. Car un amour ne devient pas révolu, quand disparaît l’aimé, mais quand disparaissent le besoin et l’absence même de l’aimé – quand le manque lui-même vient à manquer. Le passé enterre des morts, morts de n’attendre plus."
Jean-Luc Marion, Le Phénomène érotique.