dimanche 1 mars 2009

Esthétique de l’économiseur d’écran

"L'économiseur d’écran (EE) apparaît quand l'usager cesse de se servir de son ordinateur : un dessin s'anime sur un fond noir plein-écran et produit un mouvement continu aléatoire sans début ni fin. De retour à son clavier, l'usager interrompt cette animation en affichant sa feuille de travail. Depuis plus d'une décennie, l'EE a quitté progressivement son statut d'accessoire pour devenir une forme, une nouvelle forme d'œuvre qui commence du fait de l'absence de public et se termine à son retour. Dans sa conception même l'EE s'oppose efficacement à la formule de Duchamp : « c'est le public qui fait l'œuvre », reprise au pied de la lettre à la fin des années 80 pour légitimer un art avide de public.

L'EE accompagne les secrétaires pendant un appel téléphonique prolongé. Il rivalise avec les murs d'écrans de téléviseurs dans les grands magasins. Il passionne les artistes qui cherchent de quoi il procède et divertit les algorithmiciens qui savent de quoi il retourne. Il ravit les contemplateurs de poissons rouges.

L'indifférence au public de l'EE ne m'empêche pas pour autant d’entretenir des relations particulières avec certaines de ses propriétés, par exemple le réglage du temps d'attente avant son démarrage. Tard dans la nuit, il arrive que l'affichage de l'EE me sorte soudainement de mon assoupissement et m'informe : « tu devrais aller dormir, ça fait exactement huit minutes que tu n'as rien écrit ». Un réveil pour aller dormir, voilà une mission pour l'EE qui s'accorde parfaitement avec son mode d'apparition pour un public absent. « Vous pouvez vaquer à vos occupations, c'est la condition de mon existence ».

Absence et ravissement, deux états que seuls permettent d'atteindre les objets de grande futilité. Lorsque je me suspends aux mouvements aléatoires d'un EE, je retrouve, sous d'autres conditions, les mêmes attentes que suscite la contemplation d'une toupie en rotation. Je me laisse emporter par un mouvement qui libère les choses et, par sympathie, me libère moi-même, des contraintes de la gravité."
Texte de Richard Monnier


Marc-André Dalbavie, Sculpture in the dark (extrait), par Cécile Reynaud-Burkardt.
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