Comprenons-les. Ils sont ravis d'être en voyage et de voir tant de merveilles que les autres ne peuvent pas voir ; mais les contempler ne va pas sans embarras ni tourments. Quand une tour est plus haute que les autres tours, un abîme plus profond que les abîmes ordinaires ou un tableau célèbre particulièrement grand ou petit, passe encore : car cette différence peut être saisie, et décrite ; c'est pourquoi ils s'efforcent toujours de trouver un palais fameux exceptionnellement vaste ou ancien et, parmi les paysages, accordent leur préférence aux plus sauvages. [...] Mais quand quelque chose n'est pas étiqueté haut, profond, grand, petit, frappant, bref quand quelque chose n'est rien que beau, ils s'étranglent comme sur une grosse bouchée pâteuse qui ne veut ni descendre ni remonter, trop docile pour qu'on en étouffe, pas assez pour qu'on puisse prononcer un seul mot. Ainsi naissent ces oh ! et ce ah ! qui sont le douloureux langage de l'apoplexie. N'en rions pas. Ces expressions trahissent une oppression vraiment pénible."
Robert Musil, Oeuvres pré-posthumes.
(Merci à T. pour cette photo désopilante)