"« Quelle merde de pays de merde », ai-je dit au chauffeur, qui m'a répondu par un coup d'oeil méfiant dans le rétroviseur qui réduisait son visage à une paire de pupilles petites et hostiles,
auxquelles le miroir donnait l'air aigu et protubérant des reflets métalliques. Deux cartes postales collées au tableau de bord, une représentant Notre Dame de Fatima et l'autre Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus encadraient un écriteau qui exigeait sèchement que l'on dépose les mégots dans une espèce de bourse marsupiale en aluminium logée comme une verrue dans le dos du siège de devant. Je suis foutu, un frère du Saint Sacrement, ai-je pensé. Et j'ai ajouté bien haut dans le but d'apaiser l'indignation du croisé catholique :
« Loué soit Notre-Seigneur Jésus-Christ », en essayant d'imiter le majestueux accent du Centre des cardinaux-primats dont les gestes lents d'encensoir cachent des méfiances ossifiées de paysan perturbé par les trains.
« Moi, les chemins de fer me font rêver », ai-je expliqué au chauffeur en payant, devant le vieux portail flanqué des ananas de pierre : l'homme m'a dévisagé avec un immense étonnement incrédule oubliant l'argent et frappé comme s'il avait eu en novembre la révélation de Noël."
Antonio Lobo Antunes, Le Cul de Judas.