vendredi 16 octobre 2009

L'antilope n'est pas cervidé

"On me confie pour quelques jours deux petits lapins, boules de fourrure dans un grand panier, céleste innocence, authenticité absolue, angélisme même en dépit du remugle de clapier, pisse et trognon, moins abominable pourtant que celui des tramways, des magasins, des ascenseurs. Coupant des pommes pour ces petits animaux, je considérais les pépins à l'intérieur desquels les enfants campagnards croient découvrir "la main de la Sainte Vierge", tâtonnement à la recherche des symboles, des mythes et des talismans, mais aussi cécité rurale puisque, débarrassé de son tégument, c'est à quelque tique couleur d'ivoire, couleur d'os, que ressemble ce pépin. Les deux Häschen mangent toute la pomme, y compris la main de la Sainte Vierge, dans un incessant mouvement mécanique, avec un air de sombre triomphe soigneusement intériorisé.
Miracle et pureté, la nature est aussi le rébus qui nous enseigne combien rarement l'essence est identique à l'apparence, que le pépin n'a rien de commun avec une tique couleur d'ivoire, si tant est qu'elle existe, non plus qu'avec la main de la Sainte Vierge, si tant est qu'elle existe aussi. Et l'araignée n'est pas insecte, la musaraigne n'est pas rongeur, l'antilope n'est pas cervidé, le boeuf musqué pas bovidé et le tigre n'est pas félin. Cette nature qui méprise cependant l'existence d'un système général en connaît cent mille, indépendants, contradictoires quelquefois, mais reliés par les plus mystérieux points de contact. D'innombrables correspondances, des échanges sans fin, s'effectuent d'un cycle à l'autre, d'un monde à l'autre. Il ne faut pas chercher la clé. Il n'y a pas de clé de l'univers physique, pas de clé de l'univers métaphysique. Il n'y a rien que des traductions et l'amour peut être l'une d'elles. Vibrantes, les délices de l'égoïsme peuvent en être une autre."
Gabrielle Wittkop, Chaque jour est un arbre qui tombe.
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