samedi 2 janvier 2010

Un acte de communication

"On objectera que l'autonomie du texte est illusoire, ou au moins relative. Au moment même où nous le constituons, où nous nous interdisons tout contrôle, nous continuons à l'entendre comme un discours. Sinon, nous ne le comprendrions pas (ce qui veut dire le rapporter à notre propre expérience) et nous ne pourrions pas non plus le contempler comme un objet. Le porte-bouteilles existe en soi. Le Père Goriot n'existe que dans l'acte par lequel je viens à la rencontre de Balzac. Et cet acte est encore, toujours, même s'il donne l'impression de la suspendre, un acte de communication. Le vacillement que notre regard imprime au ready-made et qui fait de lui tantôt un instrument, tantôt un objet d'art, le texte le redoublerait donc intérieurement. Il ne peut jamais être tout à fait un texte, ni tout à fait un discours. Il oscille sans cesse d'un état à l'autre. Mais la rencontre qu'imagine Duchamp avec ses ready-made ne nous suggère-t-elle pas qu'abusés par l'apparente indifférence de l'objet, nous avons déjà prêté au ready-made une autonomie illusoire ? Si le ready-made plaît, touche ou scandalise, c'est que l'effet artistique n'est pas épuisé par la contemplation de l'objet, mais que cette contemplation elle-même s'accroche à un sens. Et finalement, le ready-made lui non plus ne se laisserait pas regarder s'il ne nous disait, de l'intérieur semble-t-il (c'est-à-dire à l'intérieur de la relation que nous avons avec lui) quelque chose qui est plus indispensable encore à son fonctionnement que la simple exposition."
Bernard Pingaud, L'objet littéraire comme "ready-made".

(Illustration : André Raffray, L'Ombre du porte-bouteilles de Marcel Duchamp (2005), Musée des Beau-Arts de Rouen, photo natamagat, Flickr)
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