mardi 9 mars 2010
Un groupement de symptômes
"Les auteurs, note Gilles Deleuze, et surtout ceux considérés comme pathologiques (Lewis Carroll, Artaud, Sade, masoch), "s'ils sont grands, sont plus proches d'un médecin que d'un malade. Nous voulons dire qu'ils sont eux-mêmes d'étonnants diagnosticiens, d'étonnants symptomatologistes. Il y a toujours beaucoup d'art dans un groupement de symptômes, dans un tableau où tel symptôme est dissocié d'un autre, rapproché d'un autre encore, et forme la nouvelle figure d'un trouble ou d'une maladie. Les cliniciens qui savent renouveler un tableau symptomatologique font une oeuvre d'artiste; inversement, les artistes sont des cliniciens, non pas de leur propre cas, ni même d'un cas en général, mais des cliniciens de la civilisation. [...] Bien plus, il semble qu'une évaluation de symptômes ne puisse se faire qu'à travers un roman." [...]
"Passer de la surface physique où se jouent les symptômes et se décident les effectuations à la surface métaphysique où se dessine, où se joue l'événement pur", c'est l'objet du roman ou du scénario comme oeuvre d'art, dit Deleuze, et il donne à l'appui l'exemple suivant : "Ch. Lasègue est un psychiatre qui, en 1877, "isole" l'exhibitionnisme (et crée le mot); par là, il fait oeuvre de clinicien, de symptomatologiste [...]. Or, quand il s'agit de présenter sa découverte dans un bref article, il ne commence pas par citer des cas d'exhibitionnisme manifeste. Il commence par le cas d'un homme qui se met tous les jours sur le passage d'une femme, et la suit partout, sans un mot, sans un geste [...] et c'est seulement ensuite qu'il cite des cas manifestes. La démarche de lasègue est une démarche artiste : il commence par un roman. Sans doute le roman est-il d'abord fait par le sujet; mais il fallait un clinicien-artiste pour le reconnaître."
Pascal Bonitzer, Problèmes du scénario, citations de Deleuze tirées de Logique du sens.