dimanche 18 avril 2010

Un autre bruit

"Et cette nuit-là il n'était pas question de lune, ni d'autre lumière, mais ce fut une nuit d'écoute, une nuit donnée aux menus bruissements et soupirs qui agitent les petits jardins de plaisance la nuit, faits du timide sabbat des feuilles et des pétales et de l'air qui y circule différemment qu'ailleurs, où il y a moins de contrainte, et différemment que pendant le jour qui permet de surveiller et de sévir, et d'autre chose encore qui n'est pas clair, n'étant ni l'air ni ce qu'il meut. C'est peut-être le bruit lointain, toujours le même que fait la terre et que les autres bruits cachent, mais pas pour longtemps. Car ils ne rendent pas compte de ce bruit qu'on entend lorsqu'on écoute vraiment, quand tout semble se taire. Et il y avait un autre bruit, celui de ma vie que faisait sienne ce jardin chevauchant la terre des abîmes et des déserts. Oui, il m'arrivait d'oublier non seulement qui j'étais, mais que j'étais, d'oublier d'être. Alors je n'étais plus cette boîte fermée à laquelle je devais de m'être si bien conservé, mais une cloison s'abattait et je me remplissais de racines et de tiges bien sages par exemple, de tuteurs depuis longtemps morts et que bientôt on brûlerait, du campos de la nuit et de l'attente du soleil, et puis du grincement de la planète qui avait bon dos, car elle roulait vers l'hiver, l'hiver la débarrasserait de ces croûtes dérisoires. Ou j'étais de cet hiver le calme précaire, la fonte des neiges qui ne changent rien et les horreurs du recommencement. Mais cela n'arrivait pas souvent, la plupart du temps je restais dans ma boite qui ne connaissait ni saisons ni jardins. Et ça valait mieux."
Samuel Beckett, Molloy.








Alva Noto, Particle 2.

(Illustration : Didier da Silva)
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