dimanche 19 octobre 2008

Edouard Levé : Oeuvres

D’Edouard Levé (1965 – 2007), nous avions déjà été séduit par le bref Autoportrait – un de ces livres rares et bénis qui peuvent s’offrir à toutes ces personnes à qui, précisément, on ne sait jamais quoi offrir.
Dans un style neutre qui fait songer à Sophie Calle (phrases courtes, présent de l’indicatif), Oeuvres énumère 533 descriptions d’œuvres imaginées par l’auteur mais jamais réalisées. Ces deux-cents pages, évidemment, peuvent se lire comme une savoureuse radiographie de l’art contemporain, dont les œuvres décrites déclinent à l’envi bon nombre de topos (pardon, de topoï) : animaux empaillés, ready-made, images pornographiques, textes projetés sur les murs, œuvres in situ, etc.
Les propositions vont du déjà-vu :
"168. Dans l’obscurité d’une salle ronde, sur une table, est posée une lampe dans l’abat-jour de laquelle est ajourée la phrase In girum imus nocte et consomimur igni. Le palindrome se projette en continu sur le mur."
au carrément irréalisable :
"41. Les Disparus. Un film se compose de rushes non utilisés de longs métrages dans lesquels n’apparaissent que des personnages secondaires disparus du montage final. Les répliques, qui guident le montage, sont agencées de telle sorte que les dizaines de disparus semblent se répondre, dans des dialogues dont le naturel contraste avec l’incohérence."
Levé fait encore une fois la démonstration de son humour si particulier, toujours veiné de mélancolie, comme dans ce ready-made présentant les photos de Ron Hubbard, le fondateur de l’église de scientologie, "dans les vêtements supposés de l’avenir, commandés à plusieurs stylistes", "pour paraître à la mode à ses fidèles après sa mort", ou encore dans l’idée 154 :
"154. Sculptée dans un analgésique, une galère miniature pointe sa proue vers le nadir."
Le ton est volontiers grinçant, et les œuvres ont souvent des airs de rituels macabres.
"372. Les bruits quotidiens d’une famille sont enregistrés dans une maison. Puis la famille déménage, la maison est vide. Restent les empreintes des meubles au sol et aux murs. Dans chaque pièce sont diffusés les enregistrements qui y ont été faits."
Le plaisir de lire sera, comme chez Jean-Benoît Puech, proportionnel au nombre d’occasions où l'on aura levé le nez du texte pour faire travailler son imagination :
"211. Une grande peinture murale en extérieur ne se dévoile, par fragments, que lorsque le vent soulève les petites écailles articulées qui le masquent."
(Illustration : le mini-musée ambulant d’Herbert Distel, avec son chat de 3 cm peint par Kokoschka, son morceau de chemise de Boltanski…)
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