samedi 10 janvier 2009

Physionomiste de la prose

Est-il permis de détester Pascal Quignard ? se demandait en substance François Matton, il y a quelques semaines, sur le blog de Didier da Silva. Nous serions tentés de risquer aujourd’hui : Est-il permis de détester Pierre Michon ? Ou plutôt : y a-t-il déception plus profonde que de relire un auteur dont nous gardions les meilleurs souvenirs (Vies minuscules, lu il y a quelques années sous la bénédiction de nos professeurs d’université) et de voir son livre nous tomber des mains au bout de quelques pages ? Abbés (2002) déroule 70 pages d’un style uniformément emphatique, dépouillé avec ostentation, jusqu’au ridicule : "la chair, qui a le don de consumer à volonté le corps dans une flamme aiguë, une foudre. Et cette grande femme qui est debout devant lui, qui déjà s’éloigne sur ses pieds de marbre, c’est la verticale sans frein de l’éclair." Certes, en voilà un qui a compris la puissance des monosyllabes, et qui n’a pas peur du procédé : "de grandes charrues très lourdes, aux socs longs et larges, pour six bœufs et quatre hommes […] les hommes crient, les bœufs marchent et les machines suivent, la terre s’ouvre, le noir et le rose se mêlent". On aspire à un moment de douceur et de délicatesse dans ce sublime généralisé. N’est pas Augiéras qui veut !

Ces tendances n’étaient-elles pas présentes dans Vies minuscules (1984) ? La fascination pour le faste de la liturgie catholique, déjà (Vie du père Foucault). Les brefs récits de vie, déjà. Et les scènes d’agonie, déjà – genre où excelle l’hystérie définitive de Michon ("La barque vient. Les moines voient qu’en un sursaut il se redresse et crie, il craint d’y voir deux tronçons d’homme mort. Mais non, il n’y a qu’une petite fille blonde. Il monte, elle l’emporte."). Et l’on songe aux mots de Julien Gracq dans Carnets du grand chemin, que l’on aurait voulu être un meilleur physionomiste de la prose :
"Celui qui, dans une page déjà célèbre, quoique fraîchement écrite, saurait distinguer par où, et comment, elle vieillira, tout comme, dans un jeune visage, le bon caricaturiste sait anticiper les plis, les rides, les bouffissures à venir. Car l’art du vrai caricaturiste, que j’admire, est l’art de pasticher porté au carré, en ceci qu’il ajoute, à l’exacte dissection de ce qui est, la divination supérieure de ce va en faire le lent cheminement de la vie."
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