"Je suis en train de lire Cauchemars de Zegadlowicz. Ce livre m'intéresse beaucoup et suscite en moi un véritable enthousiasme. Au-delà de cet ouvrage je vois se dessiner les contours d'un autre livre que j'aimerais écrire. A tel point que je ne sais plus si ce que je lis est le livre réel ou bien cette oeuvre potentielle qui n'est pas encore réalisée. Au demeurant, c'est la meilleure façon de lire, c'est comme si on se lisait soi-même entre les lignes, comme si on lisait son propre livre. Enfants, nous ne faisions pas autrement : c'est pour cela que les mêmes livres, autrefois si riches et si gorgés de sève, nous apparaissent, plus tard, quand nous sommes devenus grands, comme des arbres dépouillés de leur feuillage - c'est-à-dire de tous ces éléments que nous avions ajoutés de nous-mêmes pour combler leurs lacunes. Les livres que nous avons lus dans l'enfance n'existent plus, ils se sont évanouis, il n'en reste plus que des squelettes nus. Celui qui garderait en lui la mémoire et la moelle de l'enfance devrait les récrire, tels qu'ils étaient autrefois. On aurait alors un vrai Robinson et un vrai Gulliver."
Bruno Schulz, Correspondance.
(Illustration : Didier Blondeau)